Ces équipements invisibles qui plombent la consommation énergétique des logements : le DPE est-il dépassé ?
1. Une méthode réglementaire dépassée par les usages contemporains
Dans un contexte de lutte contre les passoires thermiques, le
Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) est devenu un outil central dans la
politique de rénovation énergétique. Pourtant, la méthode actuelle (3CL) repose
sur des modélisations théoriques fondées sur le bâti, les systèmes de
chauffage, d’eau chaude, de ventilation et d’éclairage. Elle ignore totalement
les consommations réelles liées aux appareils électroménagers, aux équipements
numériques ou aux comportements des occupants. Or, l’évolution des usages
domestiques crée un écart croissant entre la performance théorique et la
consommation réelle d’un logement.
2. Électroménager et surdimensionnement : des postes invisibles
mais coûteux
Les réfrigérateurs américains (400 kWh/an), congélateurs XXL (350
kWh/an), fours multifonctions connectés (120 kWh/an), robots de cuisine (50
kWh/an), micro-ondes (80 kWh/an), hottes aspirantes (50 kWh/an), grilles-pain
(60 kWh/an), et cafetières modernes à chauffe rapide (90 kWh/an) font
aujourd’hui partie du quotidien. En cumulant ces appareils dans une cuisine
moderne, on atteint déjà près de 1 200 kWh/an, sans que cela n’apparaisse dans
le DPE. Leur rendement diminue avec le temps, leur consommation augmente avec
l’usage, mais ces écarts sont absents des modélisations.
3. Aspirateurs, robots et batteries : une recharge énergétique
constante
Les aspirateurs sans fil (70 kWh/an) et robots aspirateurs (100 à
150 kWh/an) sont très présents dans les foyers modernes. Contrairement aux
modèles filaires (30-50 kWh/an), ils nécessitent des recharges fréquentes et
une station d’accueil alimentée en continu. Sur un an, la différence atteint
+100 kWh/an, ajoutée aux autres appareils déjà branchés en permanence.
4. Équipements numériques omniprésents : des consommations cachées
Dans la plupart des logements, chaque pièce est désormais équipée
d’un écran : téléviseur LED (200-300 kWh/an), vidéoprojecteur (100-150 kWh/an),
enceintes Bluetooth (30-50 kWh/an), box internet (150-200 kWh/an), décodeurs TV
(100-150 kWh/an), routeurs, switchs, multiprises intelligentes et objets
connectés. La multiplication de ces équipements génère jusqu’à 700 kWh/an de
consommation électrique par foyer, complètement ignorée dans le calcul du DPE.
5. Prises USB murales : une consommation passive continue
Les nouvelles prises USB intégrées consomment entre 0,9 et 2,6
kWh/an même sans charge active, à cause du transformateur qui reste actif en
permanence. Un logement avec 10 prises de ce type génère une consommation
fantôme de 9 à 26 kWh/an, qui s’ajoute aux autres consommations passives non
prises en compte dans la méthode 3CL.
6. Eau chaude et équipements sanitaires surconsommateurs
Les douches multijets (jusqu’à 25 L/min), baignoires de grande
capacité (200 à 300 L), et chauffe-eaux dits intelligents nécessitent une
production accrue d’eau chaude. Le simple fait de remplir une baignoire 3 fois
par semaine peut représenter plus de 1 000 kWh/an de consommation électrique
indirecte. Ces pratiques, bien que courantes, sont exclues du périmètre du DPE
actuel.
7. Électromobilité et recharges domestiques massives
Une voiture électrique consomme entre 2 000 et 3 500 kWh/an à
domicile. Un vélo électrique : 200 à 300 kWh/an. Une trottinette : 100 à 150
kWh/an. En cumulant ces trois équipements dans un foyer standard, on obtient
jusqu’à 4 000 kWh/an non comptabilisés dans la note DPE, alors qu’ils
constituent des usages de plus en plus fréquents, notamment en zones rurales ou
périurbaines.
8. Les ateliers domestiques et le bricolage, une réalité ignorée
Les particuliers investissent de plus en plus dans le bricolage à
domicile. Scies sauteuses, perceuses sur batterie, ponceuses, compresseurs,
chargeurs en continu… Un petit atelier peut consommer entre 300 et 600 kWh/an,
selon l’activité. Cette consommation devient structurelle, notamment pour les
auto-entrepreneurs et artisans travaillant depuis leur résidence.
9. Jouets connectés et équipements électroniques pour enfants
Les tablettes éducatives (30-50 kWh/an), consoles portables,
jouets télécommandés, et autres gadgets connectés entraînent une recharge
quotidienne. Dans une chambre d’enfant équipée, la consommation annuelle peut
atteindre 150 à 250 kWh/an.
10. Équipements domotiques et motorisations : la maison
intelligente consomme
Volets roulants, portails électriques, portiers vidéo, caméras de
surveillance IP, luminaires connectés, thermostats Wi-Fi, climatiseurs
réversibles pilotés à distance… Tous ces équipements, bien qu’efficaces sur le
plan fonctionnel, consomment de 50 à 500 kWh/an chacun. Les thermostats seuls
peuvent représenter jusqu’à 38 kWh/an, en raison de leur connexion continue.
11. Lessive, vaisselle et séchage : les invisibles du quotidien
Un lave-linge consomme en moyenne 150 à 250 kWh/an, un
lave-vaisselle 150 à 200 kWh/an, et un sèche-linge 300 à 400 kWh/an, selon
l’usage. En cumul, un foyer actif atteint facilement 700 à 900 kWh/an, parfois
bien plus.
12. Total estimé des consommations invisibles
En cumulant toutes les consommations précédentes, un logement
moderne, pourtant bien noté en DPE (B ou C), peut présenter entre 5 000 et 10
000 kWh/an supplémentaires de consommation énergétique réelle, qui
n’apparaissent nulle part dans le diagnostic réglementaire. Ce différentiel
peut fausser la perception du logement par un acquéreur, un bailleur ou un
investisseur.
13. Une piste d’évolution pour les ingénieurs du DPE
Il est désormais crucial que la méthode 3CL intègre une
pondération liée aux usages réels, notamment via :
• L’analyse des factures sur les trois dernières années,
• L’intégration d’un coefficient de suréquipement,
• La déclaration d’équipements à recharge ou usage continu,
• Une grille d’ajustement pour les logements multi-occupants ou en
activité professionnelle.
Ces éléments, intégrés de manière structurée dans la méthode,
permettraient de réconcilier la théorie et la réalité, et d’orienter plus
efficacement les politiques de rénovation et de sobriété.
Conclusion : repenser le DPE comme un outil dynamique, non
statique
Loin de remettre en cause les diagnostiqueurs, cet article appelle
les ingénieurs et institutions responsables de la méthode 3CL à prendre en
compte l’évolution profonde des modes de vie. Une évaluation énergétique sans
lien avec l’usage réel devient une simple photographie partielle, parfois
trompeuse. Réintégrer les usages invisibles dans le modèle est la condition
sine qua non pour redonner sa légitimité au DPE et restaurer la confiance du
public dans les outils de transition énergétique.